2) Cheikh Anta DIOP (1923-1986), restaurateur de la conscience historique africaine introduction

Premier égyptologue d’Afrique Noire, accumulant les formations dans des domaines aussi variés et techniques que sont l’archéologie, l’Histoire, la linguistique, ou encore la physique nucléaire, Cheikh Anta DIOP fonda une œuvre monumentale de restauration de la conscience historique africaine, par une étude profonde du passé africain. L’amour du continent africain, la volonté d’expliquer rationnellement une Histoire africaine que l’africanisme occidentale de l’époque jugeait sans passé, motiveront cet étudiant au parcours hors normes. Il est évident qu’un contexte aussi difficile que l’était celui des années 1950-1960, l’aube des indépendances africaines, rendait ardues des études qui venaient remettre en cause les modèles traditionnels occidentaux d’explication du passé africain. Une Histoire atemporelle, une culture faite surtout d’oralité et de zones d’ombres, une terre africaine de non civilisation, voilà les ingrédients d’une recette qui satisfaisait l’orgueil d’une Europe remplie de préjugés au sujet des Noirs.

C’est donc armé d’une érudition féroce et d’une polyvalence solidement constituée, qu’Anta DIOP entreprit un travail colossal de défrichement des sources écrites de l’Histoire (égyptiennes, grecques, latines, arabes…). Et, au terme de cette remontée dans le temps par la méthode scientifique, il découvrait que l’Egypte et la Nubie constituaient le berceau dans lequel les éléments culturels fondamentaux de l’Afrique Noire étaient cristallisés (langues, systèmes politiques, sociologiques, religieux…). En somme, Cheikh Anta DIOP aboutissait dans sa recherche, à une théorie scientifique capable d’expliquer sans solution de continuité l’Histoire des peuples d’Afrique Noire depuis leur très haute antiquité.

Les procédés de manipulation de l’information qu’Anta DIOP devra défaire en exhumant ce passé, lui permettront par ce biais de dénoncer la falsification moderne de l’Histoire de l’Afrique par l’érudition occidentale. Entre autres procédés de déformation des faits, la traduction erronée de termes judicieusement choisis dans les textes écrits par les grecs de l’Antiquité, est un thème qui retiendra particulièrement notre attention dans la suite du présent document. Il faut comprendre là qu’aussi impensable que cela puisse paraître, et bien loin d’incarner l’objectivité et l’honnêteté qu’on attendrait d’eux, certains illustres savants modernes se laisseront séduire par les méandres de la falsification des documents scientifiques.
C’est précisément ce que nous allons voir avec le témoignage d’HERODOTE.

Le cas d’HERODOTE et de ses traducteurs

            Pour Anta DIOP, la littérature grecque et romaine de l’antiquité constituait une source d’informations cruciale dans la mesure où, les propositions on ne peut plus floues de certains égyptologues de l’après CHAMPOLLION, pour qui les égyptiens anciens n’étaient pas véritablement des Noirs, cultivaient le mystère des origines de l’Egypte antique.

En fait, une lignée de savants grecs et latins tous unanimes (HERODOTE, DIODORE, STRABON, Ammien MARCELIN, Appolonius De TYANE, ESCHYLE, PINDARE…) perpétueront une tradition que l’on peut résumer comme suit : les égyptiens de l’époque pharaonique étaient des Noirs africains venus du sud c’est à dire du Soudan actuel (l’Ethiopie des anciens).

HERODOTE, le premier en date, sera d’une clarté d’eau de roche. Au Vème siècle avant notre ère, HERODOTE (484-420 av JC) d’Halicarnasse (colonie grecque d’Ionie) décide de voyager dans toute l’Egypte afin d’y observer les us et coutumes du peuple qui y habite. Voici la remarque qu’il fait en voulant comparer le peuple égyptien avec une autre population située dans le sud Caucase, les Colches : « Les égyptiens pensent que ces peuples sont les descendants d’une partie des troupes du pharaon Sésostris. Je le conjecturai aussi sur deux indices : le premier, c’est qu’ils sont Noirs, et qu’ils ont les cheveux crépus » (HERODOTE, L’Enquête, édition 1786, traduction LARCHER, livre II, chap. 104).

La langue dans laquelle s’exprimait HERODOTE étant le grec ancien, il était nécessaire de faire appel à des traducteurs spécialisés dans la culture grecque ancienne, les hellénistes.

Ainsi, du XVIème siècle à nos jours, on ne cessera de traduire le père de l’Histoire au sein d’institutions savantes réputées. En France c’est l’Académie Royale des inscriptions et belles lettres, réformée en 1716 mais dont la création originelle date de 1634 et revient à RICHELIEU, qui fournira en 1786 une traduction rigoureuse de « l’Enquête », avec un de ses membres honorables P-H. LARCHER.

Il est utile de préciser que, même si certains des traducteurs qui précédèrent LARCHER contestaient de façon outrée le témoignage du père de l’Histoire, ces derniers optèrent jusqu’à la fin du XIXème siècle pour une traduction fidèle et authentique du texte grec d’HERODOTE. Ce sera le cas d’un professeur anglais de philologie comparée, A. H. SAYCE (1883). Pour les traductions fidèles du passage qui nous intéresse, on peut citer également Pierre SALIA (1556), P. DU RYER (1645), André-François MIOT (1822), E. A. BETAUT (1836), P. GIGUET (1864), Henri BERGUIN (1932), J. Enoch POWELL (1949).

Pierre Henri LARCHER, un érudit intègre et honnête.

Né à Dijon en 1726, P-H. LARCHER, que ses parents destinaient à une carrière dans la magistrature, s’orientera de manière passionnée vers les langues et écrivains de l’Antiquité. Après avoir fréquenté un collège de jésuites dans sa jeunesse, et plus tard traduit un certain nombre d’œuvres anciennes d’auteurs grecs (EURIPIDE, XENOPHON), il entrera à l’Académie des Inscriptions et belles lettres en 1781. C’est donc 5 ans après (1786) qu’est publiée « l’Enquête » d’HERODOTE, traduite par LARCHER lui-même.

C’est alors près d’un siècle qui passe, avant qu’un professeur de lycée (lycée NAPOLEON), Emile PESSONEAUX, n’apporte quelques commentaires à la traduction de LARCHER. Voilà ce que, conformément au témoignage unanime des Anciens, il écrit en bas de page à propos du passage relatif à l’apparence physique des égyptiens anciens : « il est très vraisemblable que la Haute Egypte a été peuplée par les Ethiopiens, et que les usages égyptiens avaient beaucoup de ressemblance avec ceux de l’Ethiopie. » (édition de 1870).

Malheureusement, ce type de commentaires, fidèle à un modèle que nous dépeignent les historiens anciens (HERODOTE et ses successeurs), sera éclipsé par une tendance où se mêleront traductions erronées et volonté d’atténuer les faits.






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