3) La traduction des textes sous l’empire du préjugé

Autant la méconnaissance de la langue des pharaons ne perturbait pas fondamentalement l’idée d’une Egypte Noire et africaine, autant le déchiffrement des hiéroglyphes par Jean François CHAMPOLLION (1822) obligera les savants de cette nouvelle discipline qu’était l’égyptologie à préciser leurs points de vue sur la question. Mais le cadre de la colonisation et l’état d’esprit esclavagiste de cette période (avec ses implications morales) devaient être des écueils à une analyse objective des résultats observés par l’érudition moderne. DIOP avait déjà montré, dans ses ouvrages, de quelle façon une tendance à la négation des faits s’était profilé de plus en plus nettement au sein de la communauté scientifique. Cela devait amener aussi certains spécialistes à s’engager dans des actes de manipulation, telles que la traduction falsifiée du texte d’HERODOTE précisément.

Philippe Ernest LEGRAND est professeur d’Université à Lyon quand il est requis, de par sa correspondance avec l’Institut de France, pour une traduction nouvelle du texte d’HERODOTE. Car en effet, sa qualité d’helléniste compétent le lui permet. Les années 1930 vont donc voir publiée une édition traduite par LEGRAND du tome II de l’ « Enquête » d’HERODOTE, tome consacré à l’Egypte. Rappelons le passage du texte déjà cité plus haut s’agissant de l’apparence des égyptiens, mais cette fois traduit par LEGRAND : « …ils avaient la peau  brune … . » (édition LEGRAND, 1936).

Le linguiste de réputation mondiale Théophile OBENGA, spécialiste des langues négro africaines notamment, l’avait déjà signalé dans un ouvrage d’érudition (T. OBENGA, C. A. DIOP, VOLNEY et le sphinx, Ed. Présence africaine & Khépéra, 1996), le terme grec « melagcroeV » (qui se lit « Mélankroès ») utilisé par le père de l’Histoire au chapitre 104 du même tome, signifie « peau noire » très exactement (de Mélas = Noir, et de Kroas = Peau). Ce mot contenant un préfixe qui ne permet aucune confusion (le dictionnaire BAILLY est clair là dessus), la racine Mélas (d’où mélanine), LEGRAND n’aurait jamais dû atténuer arbitrairement son sens s’il n’était pas mu par un besoin particulier.

Ses prédécesseurs, eux, n’avaient pas jugé utile de se compromettre de cette manière là. Seulement voilà, nous assistons, avec cette nouvelle édition, à une substitution du sens du terme grec, faisant curieusement passer la couleur de peau des égyptiens du noir (melaV, mélas) au brun (melanofaioV, mélanophaios). Pourtant, partout ailleurs où HERODOTE utilise la racine « mélas », une traduction fidèle est alors donnée au lecteur. Mais puisqu’il s’agit de la couleur de peau des égyptiens anciens, on travestit les faits quitte à faire écrire aux Anciens ce qu’ils n’ont pas écrit en optant pour le mensonge au mépris de la vérité.

La traduction de LEGRAND du début du siècle sera reprise par d’autres (Jacques LACARRIERE, Andrée BARGUET), et c’est elle qui à l’heure actuelle fait office de traduction officielle et sérieuse d’HERODOTE.

Une manipulation non fortuite de ce type serait-elle là pour faire coïncider la vision des Anciens, avec le type « racial » que les savants occidentaux (la plupart) entendent donner confusément aux égyptiens anciens ?

Pour se faire une idée de la question, voici comment est défini en 1974, lors du fameux colloque international d’égyptologie au Caire, le type « racial » des anciens égyptiens : «la majorité des égyptologues estime que la population primitive qui occupe la vallée du Nil égyptienne et nubienne, dès le prédynastique (Badarien et amratien ou Nagada I) et jusqu’à la première dynastie, appartient à une race brune, « méditerranéenne » ou encore « euro-africaine, souvent improprement appelée « hamite », ou encore « khamite ». Cette population serait leucoderme, donc blanche, même si sa pigmentation est foncée pouvant aller jusqu’au noir » (« Le peuplement de l’Egypte ancienne  et le déchiffrement de l’écriture méroïtique », Histoire générale de l’Afrique. Etudes et documents, UNESCO, 1978, p. 19). Pour ceux que les termes scientifiques rebutent, il s’agirait d’hommes blancs dont la peau peut être Noire. On a beau être un savant de haute volée, on n’est pas pour autant épargné par le ridicule !

Il était important de préciser ces quelques points avant de continuer notre propos, car ils montrent assez bien la rage de certains spécialistes face à une question telle que l’apparence raciale du peuple égyptien de l’Antiquité. L’attitude sournoise et pour le moins malhonnête de personnalités que l’on fait passer pour des autorités scientifiques, trouvera un représentant au crépuscule de ce siècle en la personne de Maurice MARTIN, un correspondant à la revue « Le nouvel Observateur », dans le cadre d’un numéro spécial réservé à l’Egypte.





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